Aujourd’hui, j’ai décidé de monter sur scène et ce n’est pas un pari. Voilà plusieurs années que je répète et ce soir c’est la générale et moi je suis le chef.
Même si cela ressemble à une aventure je vais tout de même rester classique car l’orchestre que je dirige, ce ne sont que des parties de moi. Et dans le contexte actuel, je m’en sors bien avec le couvre feu et la distanciation car il n’y aura pas de public, pas de jugement, pas de revue qui presse. Je vais pouvoir tomber le masque…
J’ai un peu le trac quand je regarde la fosse. Je sais qu’il n’y a pas de lion, que toutes ces parties me veulent du bien, m’encouragent, qu’elles sont là pour enrichir ma culture intérieure et m’ouvrir des portes vers l’infini. J’aperçois même mon inconscient avec sa veste en queue de pie qui me fait un clin d’oeil. Jamais je n’aurais pensé que c’était un oiseau…à longues basques !
Je me lance, deux coup de baguette et je sors des bois, ça craque et ça frissonne. Je fais venir les cueilleurs de vents qui étirent les cordes entre les feuilles de musique et les font vibrer. Autour de l’eau, s’élève un tintamarre de cuivres qui sonne le glas. Le hautbois libère le solo de cordes qui enchante mon coeur. Je suis dans les cordes, je me sens uni vers l’uni. Mes doigts vibrent et je fais des boucles. J’entends le timbre grave du père-cussion qui accompagne la voix de la lyre sans se prendre pour Apollon. Je fais des arcs de cercle concentriques. Je ressens le souffle de vie, ses caresses, ses vibrato, je deviens un. Il n’y a plus personne dans la fosse, ce qui ne me rend pas du tout septique. Je ressens l’infini qui coule en moi, je me sens léger et j’accueille la simplicité du tout.
La lumière m’éclaire et l’ombre m’accueille.
Philippe Lafargue
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